Tae rentre la tête dans son écharpe, en soufflant un grand nuage de buée. Fais froid, c’est horrible ! La première fille qui l’accompagne rit, la seconde l’entoure de ses bras et pose sans mal son menton sur le haut de sa tête. Elles sont encadrées par deux garçons qui portent deux grands sacs de sports contenant les petits postes de musique à pile. Voilà à quoi ressemble le groupe Hoffman du module au vague nom de « Rapport au Public ». Si elle avait deviné que pour gérer sur scène, il allait falloir chanter en place public en pleine hiver, elle se serait fait portée pale. Surtout depuis qu’on lui a refilé le rôle d’Olympia, la poupée mécanique des contes d’Hoffman. Autre rôle distribué : Hoffmann lui-même, Coppélius l’opticien, Stella la cantatrice et la Muse. Soit un ténor, un baryton, une autre soprano qu’elle et une mezzo-soprano. La première fille consulte le plan fournis par le prof. Tae, tu es là ? Moue d’enfant contrariée de l’intéressée qui prend un petit poste et qui s’en va penaude vers l’endroit donné. T’inquiète pas les tomates sont hors de prix en hiver. Dernière incartade du groupe avant que ce dernier s’éloigne vers d’autres lieux passant du quartier.

Tae déglutit, Elle règle le poste avant de le déposer sur un rebord derrière elle .Les gens qui passent ici l’habitude de voir des gens leur faire du rock ou de la pop , pas de l’Opéra .Ça va pas leur plaire, j’en suis certaine . Elle retire son manteau crème en col de fourrure, le posant à côté du poste , retirant ensuite l’écharpe, conservant le long gilet échancré avant d’appuyer sur le bouton Play . Elle ferme les yeux , respirant un grand coup avant d’assurer sa prestation

« Les oiseaux dans la charmille
Dans les cieux l'astre du jour…. ♫♪♫»

Ses joues sont rougies par le froid et par la honte, ne prêtant attention au gens qui s’attroupent . La chanson finie , elle recule doucement , filant comme un oiseau dans son nid se rhabiller et ranger ses affaires .

Tae essaie de ne pas regarder autour d’elle, de peur de s’apercevoir soit qu’elle était seule et que la foule l’ignorait soit, tout au contraire, qu’on l’observait. Elle n’arrive pas à savoir ce qui était le pire, en fait. L’indifférence ou l’attention. C’était prévu dans le plan de carrière, chanter en public. Mais il faut dire que le faire devant des regards connus et pour la plupart bienveillant était bien plus simple que se confronter à des regards neufs et critiques. Il fallait au plus vite oublier cette expérience … Comment ça, ce n’est pas le but ? Eh bien, changement d’objectif. Elle sursaute brusquement quand on l’aborde, se figeant, devenant statue de glace, se retournant à la manière d’une poupée mécanique. Tiens, ça corresponds bien au rôle qu’on lui a donné. La poupée mécanique. Autographe ? Eun Tae ouvre de grands yeux. Elle a les oreilles qui sifflent si bien qu’elle ne sait pas si elle a bien entendue. Apparemment oui. Elle ouvre grand la bouche, imite le poisson rouge pendant quelques secondes. Pamina, à l’aide. Des tonnes de pourquoi et de et si emplisse son espace de réflexion. Tae ! Pamina alias Mogsoli vient de se réveiller, prête à la secoue dans tous les sens. Reprendre confiance en elle, avec ses airs de petit moineau. Décocher son plus beau sourire.

« Un autographe ? Vraiment ? C’est que je n’en ai jamais signé, je n’ai même pas élaboré une signature originale. C’est gênant … Je ne pensais pas que ça plairait à quelqu’un … Hum, attendez, je dois avoir un carnet sur moi. »

Elle fouille la poche intérieure de son manteau, en profitant pour le remettre parce que disons-le, il fait vraiment froid. Elle en sort un petit carnet décorer de silhouette de chats coloré et en tourne les pages. Liste de course, chose à faire … page vide. Elle réfléchit un instant avant de signer en alphabet romaine d’un simple Tae et de colorier la silhouette d’un petit oiseau sur la branche du T avant de lui tendre.

« Merci beaucoup … Dites, vous ne voudriez manger quelque chose et prendre quelque chose de chaud ? C’est que chanter, ça creuse et se poser à deux, c’est plus sympa. Je vous l’offre . Vous êtes mon premier fan, après tout . »

Il est heureux. Et Tae ne veut surtout pas le contrarier. Il lui semblait bien maladroit ce garçon et les gâteaux dans la boite semblaient vraiment en souffrir. Elle réfléchit au sens du mot exclusivité avant de lui sourire à pleine dents. Elle se sent étrangement à l’aise dans cette position, celle de l’idole. Pas la grande diva populaire qui passe tout le temps à la télé mais plus comme une célébrité confidentielle. Celle qui situe ses fans, qui les connait de visage, qui sait ce qui découvrent et ceux qui n’aiment plus. Elle marche dans ses pas et va s’assoir, profitant d’un moment de répit pour envoyer un mail au reste de l’équipe Hoffman, leur signalant qu’elle renterait seule plus tard

« Dans ce cas, je vais prendre un chocolat chaud. Je ne sais pas, quel genre d’exclusivité ça a le droit un premier fan ? Et puis qui te dit que dans cinq ans, au moment où je tenterais de percer , tu seras toujours aussi fan . Tu seras peut être très célèbre dans ton milieu et tu n’auras plus le temps de penser à moi. »

Même plis que lui. Il la tutoyait, elle fait donc la même chose, prenant le tutoiement pour une permission de rien n’en faire . Elle dispose ses affaires de tels sorte à ce qu’elle ne gêne pas le passage, posant le poste dans ses pieds en faisant attention à ne pas le malmener. C’est que c’est fragile ces trucs-là. Et il est déjà suffisamment déglingué comme ça. . Elle remercie d’un mouvement de tête pour le cookie avant de croquer dedans, tentant de faire marcher son pauvre sens du goût, beaucoup moins développé que son ouïe

« Il est bon … très bon même … Ma maman met plus de beurre mais je trouve les tiens meilleurs. Si je lui dis, elle va m’envoyer une poêle dans la figure. Elle tiens un salon de thé à l’européenne, dans une petite rue adjacente à la place Cheonggyecheon, en bas d’une immeuble de bureau. Mais j’imagine que je ne suis pas la première fan de ta cuisine, non ? »