L’ivresse … J’ai cette sensation de perte de contrôle, elle m’effraie mais me fait sourire en même temps. Peut-être qu’un jour c’est ce qui m’arrivera. Mogsoli prendra totalement le contrôle de moi et je ne serais plus rien. Peut-être que comme mon frère, elle me mènera aux portes de la mort. Jusqu’à aujourd’hui Mogsoli m’est toujours venu en aide, mais j’ai peur d’elle et je la déteste, elle m’a enlevé mon frère. Il m’a raconté tellement d’horreur sur cette voix et pourtant avec moi elle semble si prévenante … Qui dois-je croire ? La tête me tourne, je suis avec une bande de copains et chaque rire, chaque parole me déchire les tympans. J’ai l’impression qu’un simple chuchotement devient un hurlement … Bien que j’ai déjà pas mal d’alcool dans le sang, je ne refuse pas le nouveau verre qui se pose devant moi. Je suis assis sur une chaise et je crois que je ne vais pas en bouger, je ne tiendrais pas debout et ça finirais en belle gamelle. J’essaie de prendre part à la conversation, mais je ne comprends que la moitié des mots qui sont dit. Je crois que ce soir j’ai vraiment abusé … Mais ça m’aide à perdre pieds, à m’éloigner quelques instants de cette réalité, de cette voix, de la mort de mon frère. Je ne sais pas qu’elle heure il est, mais en fait je m’en fiche. J’essaie de me lever, mais j’ai à peine fait quelques pas que le sol tangue sous mes pieds. Je m’appuie sur une table pour ne pas tomber. La musique du bar me hurle dans les oreilles, j’aimerais bien du silence et du noir aussi la lumière m’agresse les yeux … Je souris, mais je ne sais même pas pourquoi. Je suis totalement sous l’emprise des boissons alcoolisées que j’ai ingurgitées ce soir et un jour c’est Mogsoli qui aura raison de moi. Je n’essaie même pas de repousser ce mec qui me fait des avances, je crois que de toute façon je n’en aurais pas la force, autant physiquement, que psychologiquement. J’ai chaud avec cette veste, mais je ne peux pas l’enlever … Finalement je me rassois et je bois, ça me déconnecte encore plus de cette réalité, cette vérité dont je ne veux pas …

Finalement je me rassois à l’endroit où j’étais quelques secondes plutôt et c’est une sage décision si je ne veux pas me prendre la gamelle du siècle. Je fixe le verre à moitié pleins qui est toujours devant moi, ce n’est peut-être pas raisonnable … Bah au point où j’en suis de toute façon. Un verre de plus, un verre de moins je doute que ça change beaucoup de chose à mon état. Enfin ça me fera peut-être squatter la salle de bain, car mon estomac en aura assez supporté et il ne voudra plus rien garder. Tant pis. Je ne peux m’en prendre qu’à moi. Même si à chaque fois je suis conscient que le lendemain je vais douiller, car je vais avoir mal au crâne et envie de vomir aussi à l’occasion, ça ne m’empêche pas de recommencer. Je n’ai qu’une chose à dire … Demain ça va être beau. Enfin je dis demain mais … Peut-être qu’on est déjà le lendemain et que nous ne sommes plus tard le soir, mais tôt le matin. Je n’en ai absolument aucune idée. Les personnes –les plus lucides d’entre elles- avec qui je suis commencent à dire qu’il faudrait mieux que chacun rentre chez soi, car il est tard. Rentrer ? Moi je veux bien, mais faudrait déjà que j’arrive à tenir debout sans avoir l’impression que le sol va remplacer le plafond.

Je prends le verre qui est devant moi et je le finis d’une traite. Augmentant par la même occasion le taux d’alcool, déjà assez important, que j’ai dans le sang. Je me lève pour la deuxième fois, en imitant tout le monde, car ils ont tous l’air décidé à partir. Mais une silhouette familière s’impose face à moi … Je la regarde comme si je venais de voir débarquer un extra-terrestre et je cligne plusieurs fois des yeux.


En temps normal je me serais posé pleins de questions, sur le pourquoi du comment elle est arrivée ici, mais là … J’ai appuyé sur le bouton pause de mon cerveau et je n’arrive pas à réfléchir correctement, bah tant pis. Je pose une main au niveau de mon estomac. Il me fait affreusement mal … On dit que l’alcool fait plus de dégât si on ne mange pas en buvant, je crois que ça à force je vais l’avoir compris, mais comme toujours ça ne m’empêchera pas de le refaire.

May Lee ordonne aux autres de vider les lieux et tout le monde sort peu à peu. J’ai envie de lui dire d’arrêter de crier comme ça, car j’ai de plus en plus mal à la tête, en plus maintenant j’ai envie de vomir, mais j’ai la bouche pâteuse et aucun son ne veut sortir de ma gorge. Ce n’est pas malin de me mettre dans un état pareil je sais, ça a au moins le mérite de me faire oublier beaucoup de chose. J’arrive à peine à aligner deux pensés cohérente, alors aligner des mots pour former des phrases … May Lee me fait sortir avec elle et je la suis sans opposé de résistance. C’est inutile de toute façon, elle m’aurait obligé à la suivre pour vérifier que je n’ingurgite plus un seul verre de la soirée, enfin du moins j’imagine.

L’air froid de l’extérieur contraste totalement avec l’atmosphère étouffant de l’intérieur. Le bruit aussi … Plus de musique assourdissante, mais un léger calme parfois brisé par une voiture qui passe. Ça fait du bien à mes oreilles et à ma tête. Je suis toujours May Lee qui m’entraine vers une ruelle. Toujours la main sur mon estomac, je remarque que je suis seul avec elle à présent, tout le monde est partie. Une grimace de douleur se dessine sur mon visage, encore et toujours mon estomac qui fait des sienne. May Lee me dit de vomir, ça me fera du bien. Je m’apprête à lui rétorquer qu’elle est marrante, que ce n’est pas le genre de chose que tu décides de faire comme ça … Mais je n’ai pas le temps de prononcer ces quelques mots, juste le temps de me pencher, que je rejette déjà presque la totalité de cette soirée bien trop arrosée. Ce n’est pas agréable du tout. Je me redresse et passe ma main sur ma bouche. Au moins mon envie de vomir est passé, mais mon mal de crâne persiste. Je regarde May Lee, je dois avoir une mine à faire peur et ma tête me tourne toujours. Enfin ce n’est pas comme si c’était la première fois que je me retrouve dans un état pareil.


En fait je ne veux pas embêter May Lee, si elle était dans ce genre d’endroit elle devait être avec quelqu’un, non ? Je ne veux pas être une gêne pour elle, alors qu’elle est toujours attentionnée envers-moi … Alors que visiblement je suis à peine en état de marcher droit …

J’affirme à May Lee d’une voix un peu tremblante, que je peux rentrer tout seul maintenant. Et en fait j’y crois dur comme fer que je suis capable de marcher jusqu’à chez moi, mais quand j’essaye de faire un pas, je crois que ce n’est pas normal, que le sol bouge autant. Un léger rire s’échappe de mes lèvres, je trouve ça rigolo. May Lee aussi rigole, mais elle, ne trouve pas ça drôle c’est un rire plus du style « tu te fous de moi là ? ». Non, non regarde je peux marcher … Ah bah non, je me rattrape au mur, un peu plus et je me retrouvais par terre. Elle veut me ramener en taxi … Bah comme elle veut. May Lee appelle un taxi, en essayant tant bien que mal à ce que je garde mon équilibre. De plus on ne peut pas dire que je lui rends la tâche très facile, en m’écrasant de tout mon poids sur son épaule. Quand nous arrivons au bout de la ruelle le taxi est déjà là.

Je m’assois à l’intérieur du véhicule, suivis de près par May et je pose ma tête contre la vitre. Légèrement froide contre mon front brûlant, je ferme les yeux, j’ai mal à la tête. En plus j’en ai pour un moment à avoir mal à la tête. Les conséquences ne sont jamais reluisantes, mais je n’arrive pas à m’empêcher de faire ça. J’oublie au moins quelques minutes … Certes quelques minutes ce n’est rien, mais c’est déjà ça de gagner.


J’aurais voulu pouvoir lui dire une phrase u style «merci de toujours t’occuper de moi, alors que tu pourrais très bien me laisser livrer à mon sort », mais je ne me lancerais pas dans une construction de phrase compliqué, ça ressemblerait à un bafouillage, qui ne voudrait absolument rien dire au final. Et puis quand je parle ma voix résonne douloureusement dans ma tête … De toute façon merci suffit, non ? Elle a sans doute mieux à faire et pourtant elle prend de son temps pour s’assurer que je rentre bien chez moi. Elle doit me trouver bien idiot, à me rendre ivre comme ça … D’un certain point de vue ça peut l’être, mais au moins j’ai un peu de répit, pendant que je suis sous l’emprise de l’alcool, tout est beau, tout est mignon, mais quand les effets commencent à s’estomper ça fait mal. Alors je bois de manière à ce que le retour vers la «réalité » soit le plus long possible, même si les conséquences sont lourdes et désagréable au possible … Je souris comme un idiot, alors que la situation ne s'y prête pas forcément, mais pour le moment je vois encore ce monde, comme celui des bisounours ... Pour combien de temps ...

May Lee rentre dans le taxi à ma suite et récite mon adresse au chauffeur. Heureusement qu’elle est là, j’aurais bien été incapable d’articuler tout ça moi-même. Quand je la remercie, May Lee me répond juste par un signe de tête. J’ai la vague impression que ça ne lui fait pas réellement plaisir de m’être venue en aide … Enfin dans un sens, je la comprends. Elle a sans doute mieux à faire que de s’occuper de moi. Je dois plus être une gêne qu’autre chose pour elle. J’aime savoir que May Lee est toujours là pour s’occuper de moi, mais je ne veux pas qu’elle se sente obligée de le faire. Pourquoi elle se sentirait obligée ? Aucune idée. Mes pensées ne sont pas cohérentes de toutes façon, effet de l’alcool sans aucun doute.

Le taxi arrive à destination et je sors tant bien que mal du véhicule. J’agrippe le mur pour tenir debout. Hors de question de prendre les escaliers pour monter ça serait trop le parcours du combattant. May Lee va sans doute m’aider à monter jusqu’à mon appartement et après ? Elle va rentrer chez elle. Et je serais seul, comme toujours. J’entends un chuchotement, c’est cette Mogsori, elle me dit que ce n’est pas malin de mettre mis dans cet état et qu’à l’avenir je ne devrais pas recommencer. Je pose mes doigts sur ma tempe.


Presque malgré moi des larmes se forment sous mes paupières fermées. Je déteste cette voix, je lui voue une haine sans limite et pourtant elle a toujours été prévenante à mon égard. Seulement elle m’a enlevé mon frère, elle m’a arraché l’une des personnes les plus importantes à mes yeux, une personne indispensable à ma vie. Et maintenant ma vie n’est plus grand chose … Je passe la plus part de mes nuits à faire des cauchemars et il y a ces foutues blessures que je n’arrive pas à arrêter de m’infliger. Sans le suicide de mon frère tout ça n’existerait pas, sans cette saleté de voix, je n’essayerais sans doute pas de boire pour tenter oublier. Je ne veux pas rentrer et me retrouver seul avec moi-même, avec cette voix … Cependant je n’ai nulle part d’autre où aller. Je hais cette voix, c’est le diable. Elle ne s’en ai jamais directement prit à moi, mais c’est tout comme.

May Lee me prend dans ses bras. Je ne n’esquisse pas le moindre mouvement, je la laisse m’enlacer. J’ignore pourquoi elle fait ça alors que depuis tout à l’heure elle semble froide, distante … Puis May Lee finit par desserrer son étreinte et elle me lâche complètement. Elle me guide jusqu’à l’ascenseur, car mes jambes n’ont toujours pas décidées d’arrêter de trembler. En même temps vu la quantité d’alcool que j’ai ingurgité, je vais en avoir pour un moment. Je la suis, essayant quand même de ne pas mettre tout mon poids sur ses épaules. J’ai l’impression que mon corps est soudainement vidé de toute énergie. Je marche, comme un pantin à qui on aurait seulement appris à mettre un pied devant l’autre, mais je manque de m’écrouler à presque tous les pas que je fais. Nous montons dans l’ascenseur alors que May Lee me dit que ça va aller. Je tourne mon regard vers elle. J’essaie de retenir les larmes qui menacent de couler mais, c’est comme si j’étais subitement accablé de tous les malheurs du monde ou alors c’est la faute à l’alcool. Avec mauvaise fois je mets ça sur le dos, de toutes les boissons que j’ai bu.


Je bafouille, je m’emmêle, je m’embrouille et j’arrive finalement à donner un vague sens à mes mots. On arrive enfin devant la porte de mon appartement. J’entends Kenzo qui gratte à la porte, je prends mes clés dans ma poche et je les tends à May Lee. Ce n’est même pas la peine que j’essaie d’ouvrir avec mes mains toutes tremblantes, je n’y arriverais pas. Je pénètre dans cet endroit qui est chez-moi et pourtant … Je voudrais m’enfuir loin d’ici. Loin de cet appartement où mon frère a trouvé la mort. Je me tourne vers May Lee en m’appuyant sur un meuble.


J’ai mal à la tête quand la lumière du couloir m’agresse les yeux. C’est ma plus grande peur. Certes j’ai la phobie des eaux profondes, mais ce n’est rien contrairement à cette peur qui me tord l’estomac quand je pense à ce que Mogsoli est capable de faire … Ce qu’elle fait à mon frère. Si elle prend le contrôle total de moi, je ne serais plus rien et ça m’effraie à un point …

Plus pessimiste tu ne fais pas et pourtant sur le coup je suis vraiment convaincu de ce que je dis. Mon état ne m’aide pas à faire la part des choses ça c’est sûr. Mais de toute façon même en étant sobre c’est ce que je pense au plus profond de moi. Qu’un jour Mogsoli gagnera du terrain et que je finirais six pieds sous terre, comme mon grand-frère. Depuis qu’il est mort, je suis persuadé que je finirais comme lui. C’est comme une évidence pour moi, alors qu’au fond je ne suis sûr de rien. La peur me monte toujours un peu plus à la tête. Finalement ce n’est peut-être pas Mogsoli mon ennemi, mais cette peur au creux de mon ventre. Je crois que mes paroles ont énervé May Lee, je ne sais pas pourquoi elle réagit de la sorte, mais elle semble contrariée. Elle saisit mon visage entre ses mains, sans aucune délicatesse, ce qui me fait sursauter.


Je dis ça maintenant, car l’alcool m’a retourné le cerveau. Il y a des jours, beaucoup de jours où je suis heureux je vis pleinement, comme la vie doit-être vécue. Mais il y a ces soirs. Ces soirs où je me rends dans la salle de bain et où je m’entaille les deux bras. Ce n’est pas une tentative de suicide, même si au début c’était peut-être ce que j’avais derrière la tête. Je me mutile les avant-bras, car j’ai trop de chose à supporter, enfin trop … La mort de mon frère et Mogsoli, c’est tout, mais ce sont deux choses lourdes de conséquence à mes yeux. Je réfléchis aux paroles de May et j’en conclus …


Effort surhumain pour sortir cette phrase. Je sens mon chien venir se frotter à mes jambes. Je voudrais enfouir ma figure dans son pelage et pleurer jusqu’à m’en dessécher les yeux.


Là au moins je ne risque pas de tomber et au final je n’essaie même plus de me retenir, je laisse ces larmes silencieuses couler … Je me sens si faible, si nul … May Lee ne serait pas là je serais déjà allé m’enfermer dans la salle de bain et laisser couler mon sang dans le lavabo.

Moi qui m’applique toujours à cacher mes faiblesses devant les autres, là c’est raté. Mais bon ce n’est que May Lee, je sais que ce qui se passe ici, y restera et qu’elle n’utilisera pas ce qu’elle sait ou ce qu’elle a vu contre moi. Du moins ce que je connais d’elle me laisse penser ça. J’essuie mes yeux d’un geste rageur avec la paume de ma main et je me lève. Sans doute trop vite, car je vacille et finalement si le mur n’aurait pas été aussi proche je serais retombé par terre. Moi, qui me force toujours à sourire devant les autres et à pleurer uniquement quand je suis seul avec moi-même. Qu’est-ce que je suis en train de faire au juste ? Essayer de dessouler d’une soirée beaucoup trop arrosée, en m’apitoyant sur les malheurs de ma vie. Si j’avais été seul, ça serait différent. May est là et je n’aime pas me montrer faible devant les autres. Même si j’ai confiances en elle, je ne veux pas passer pour un faible. Debout adossé au mur, j’écoute les paroles de May Lee. Me doucher ? Mauvaise idée, si je vais dans la salle de bain, je sais pertinemment ce que j’y ferais et ce n’est pas qu’une simple douche. Je ne compte pas manger non plus. Si j’avale quoique ce soit ça ne passera pas j’en suis certain. J’ai la gorge complètement sèche et la bouche pâteuse :


Je suis chez-moi et pourtant je n’arrive à rien faire par moi-même. Aller me coucher ? Je n’ai pas envie de dormir. Je redoute toujours le moment d’aller me coucher … Pourquoi ? À cause de mes cauchemars, à cause de CE cauchemar où je revis sans cesse la mort de mon frère. Cet horrible rêve qui me suit depuis un an, au détail près c’est le même. Dormir me ferait sans doute du bien, mais …


Je ne sais pas si j’ai déjà parlé de mes cauchemars à May Lee, mais je ne pense pas. C’est le genre de chose que je garde pour moi. Que je souffre en silence, sans personne …